Sous le vernis d’un débat juridique, une manœuvre politique. Derrière la querelle apparemment technique sur la légalité de « l’auto-parrainage », se cache un épisode révélateur de la manière dont Boni Yayi a repris la main sur le parti Les Démocrates jusqu’à neutraliser celui qui, naturellement, devait en porter les couleurs à la présidentielle de 2026 : Éric Houndété.
Une stratégie de contournement : transformer le droit en arme politique
Au départ, la question semblait anodine : les députés, titulaires du parrainage, peuvent-ils s’auto-parrainer pour une candidature présidentielle ? Mais rapidement, le sujet est devenu explosif. Car au sein du parti Les Démocrates, ce débat n’était pas seulement juridique : il était politique et personnel.
Éric Houndété, président du groupe parlementaire et chef de file de la ligne parlementaire du parti, avait clairement fait savoir son intention de briguer la candidature. Conscient des résistances internes, il a saisi la Cour constitutionnelle le 9 octobre 2025 pour dénoncer une tendance dans le parti « à écarter les députés » sous prétexte qu’ils seraient détenteurs de leur propre parrainage.
Dans son recours, Houndété affirmait que cette interprétation discriminait les députés, violant ainsi les droits politiques fondamentaux garantis par la Constitution béninoise. Il y voyait clair : l’argument juridique n’était qu’un outil de verrouillage politique.
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Le coup de maître de Yayi : brandir la peur pour justifier la mise à l’écart
C’est à ce moment que Boni Yayi entre en scène. Sous couvert de prudence et de stratégie, il a utilisé la peur du pouvoir en place comme levier pour neutraliser les candidatures internes gênantes. L’ancien président aurait martelé à ses troupes : « Si vous faites, Talon va vous couper la tête ». Une formule choc, qui traduit une méthode : transformer la crainte d’une sanction politique externe en instrument de discipline interne.
Dans les réunions du bureau politique, le débat sur l’auto-parrainage a été présenté comme une « question de survie » pour le parti. En réalité, c’était le terrain choisi pour délégitimer la candidature Houndété, sans jamais prononcer son nom.
L’argument était habile : ce n’est pas contre toi, c’est pour préserver le parti.
Mais les plus lucides dans le camp des Démocrates l’ont bien vu : cette prudence affichée servait surtout à exclure un candidat jugé trop indépendant.
L’ombre du contrôle : quand la loyauté devient critère de candidature
Depuis son retour aux commandes du parti, Boni Yayi s’est efforcé de remettre la maison Les Démocrates sous contrôle. Il a consolidé autour de lui un cercle restreint, composé de figures loyales, et a progressivement marginalisé ceux qui affichaient une trop grande autonomie intellectuelle ou stratégique.
Or, Éric Houndété, par son profil et son expérience parlementaire, incarnait cette indépendance que Yayi redoute autant qu’il la respecte.
Son discours tranchant « Nous ne sommes pas des abrutis. Nous sommes capables de réfléchir » illustre le malaise : celui d’un parti qui, au lieu d’encourager la pluralité d’opinion, tend à confondre discipline et obéissance.
En se présentant comme gardien de l’unité, Boni Yayi a donc utilisé le débat sur l’auto-parrainage pour filtrer, sous prétexte juridique, les ambitions concurrentes.
Résultat : Yayi a préféré un duo plus « docile », Agbodjo–Lodjou, au détriment d’un candidat populaire et crédible.
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Un débat piégé dès le départ
Pourtant, les faits juridiques étaient clairs. Ni la Constitution ni le Code électoral ne prohibent explicitement l’auto-parrainage. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle (décisions de 2021 et 2024) reconnaît le parrainage comme un acte unilatéral libre, relevant de la volonté de l’élu.
Même le Directeur général des élections, Boucary Abou Soule Adam, avait confirmé publiquement que rien n’interdit à un député de se parrainer lui-même — rappelant que l’actuelle vice-présidente Mariam Talata l’avait fait en 2021.
Mais ces arguments n’ont pas pesé lourd face à la volonté politique du président d’honneur.
Le droit a été instrumentalisé pour justifier une décision déjà prise : éliminer le candidat Houndété.
Un parti qui se fragilise en se verrouillant
En sacrifiant l’un de ses dirigeants les plus solides sur l’autel de la « prudence », Les Démocrates envoient un signal préoccupant.
Le parti qui se veut champion de la démocratie interne s’enferme dans une logique de contrôle vertical.
Et en rejetant, au nom de la peur ou du calcul, les candidatures issues de ses propres rangs, il affaiblit la crédibilité de son combat contre le pouvoir en place.
Les mots d’un militant résument le malaise : « La pente sur laquelle nous glissons, c’est celle qui dresse le tapis rouge à l’adversaire ».
Le piège de la prudence
Sous prétexte d’éviter les “représailles” du régime, Boni Yayi a verrouillé le parti mais ce verrouillage a un coût. En sacrifiant le pluralisme interne et en détournant un débat juridique en outil politique, il a sans doute sécurisé sa position… mais affaibli la dynamique collective. Et au bout du compte, c’est l’opposition tout entière qui risque d’y perdre : un parti qui se censure lui-même ne peut espérer conquérir le pouvoir.
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