Longtemps resté dans l’ombre des projecteurs, Sidi Mohamed Ould Tah incarne aujourd’hui une figure singulière du leadership africain. Discret, méthodique et visionnaire, il accède à la tête de la Banque africaine de développement (BAD) après avoir dirigé pendant une décennie la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA). Son parcours, jalonné de réformes profondes, de décisions stratégiques et d’un engagement constant pour l’impact réel, en fait l’un des plus solides bâtisseurs du développement africain contemporain.
Aux origines d’une rigueur tranquille
Né en 1965 dans la région mauritanienne du Trarza, à la frontière sénégalaise, Sidi Ould Tah grandit dans un univers d’érudition et de modestie. Issu d’une famille d’intellectuels dont plusieurs figures ont marqué la naissance de la Mauritanie moderne, il est très tôt imprégné de valeurs de service public, de retenue et d’exigence. Enfant, il arpente les couloirs du pouvoir, observant en silence les débats d’un pays en construction. Ce silence, devenu une discipline, forge chez lui une approche du leadership ancrée dans l’efficacité plutôt que dans la parole.
Un parcours universitaire entre lettres et économie
C’est par la littérature que commence son parcours académique. Passionné de philosophie politique et d’humanisme éclairé, il lit Montesquieu, Voltaire, Baudelaire. Mais très vite, les réalités du développement le rattrapent. Il s’oriente vers l’économie, décroche un doctorat en économie agricole à Montpellier, et entame une carrière d’universitaire puis de haut fonctionnaire, à la croisée de la planification nationale et de la coopération internationale.
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Une décennie au service de l’État mauritanien
De 2006 à 2015, il occupe les plus hautes fonctions économiques de la Mauritanie : conseiller du président, directeur de cabinet au ministère des Affaires économiques, puis ministre lui-même. Il y pilote les réformes budgétaires, les négociations avec les bailleurs, et les stratégies de réduction de la pauvreté. Sous sa direction, la planification mauritanienne devient un outil stratégique, articulé à la réalité des territoires et à la dynamique régionale.
La transformation de la BADEA
En 2015, il prend la tête de la BADEA, à une époque où cette institution demeure peu visible. En dix ans, il la métamorphose. Le capital passe de 5 à 20 milliards de dollars, les financements sont multipliés par 12, et la BADEA obtient les meilleures notations financières du monde arabe. Il introduit une culture de la performance, diversifie le recrutement, renforce la gouvernance et modernise les outils d’intervention.
Sous son impulsion, la BADEA devient un acteur incontournable de la coopération Sud-Sud, présent dans 44 pays africains, finançant ports, routes, hôpitaux, écoles, universités et projets d’accès à l’eau et à l’électricité. Son approche est multisectorielle, tournée vers l’impact concret et mesurable. Il associe innovation technologique, inclusion sociale et exigences financières.
Khartoum–Riyad : un test de leadership absolu
L’année 2023 marque un tournant. La guerre civile éclate au Soudan, menaçant directement le siège de la BADEA à Khartoum. Il organise, dans l’urgence, l’évacuation de centaines de collaborateurs et leurs familles. Il négocie avec l’Arabie saoudite leur accueil, assure la continuité des opérations, installe un siège temporaire à Riyad. Ce moment de crise révèle une capacité rare à conjuguer fermeté, sang-froid et humanité. Aucun membre du personnel n’est perdu. L’institution continue de fonctionner, renforcée par la solidité de ses mécanismes.
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Une vision transformatrice pour la BAD
Candidat à la présidence de la BAD, Sidi Ould Tah ne propose pas un simple programme : il propose une transformation. Pour lui, la Banque doit devenir un pivot de la souveraineté financière africaine, en fédérant les acteurs publics, les marchés, les fonds souverains et les instruments de garantie autour d’une stratégie unifiée. Il prône une architecture régionale intégrée, combinant innovation numérique, partenariats stratégiques et mobilisation massive de capitaux.
Ses priorités sont claires : inclusion de la jeunesse, autonomisation des femmes, accès universel à la santé, financement massif des infrastructures de transport, appui aux PME, transition climatique pragmatique, et souveraineté économique fondée sur la transformation locale des matières premières.
Technologie, impact et souveraineté
Convaincu du rôle clé des nouvelles technologies, il expérimente à la BADEA des plateformes de crédit basées sur l’IA et le scoring comportemental. Pour lui, l’intelligence artificielle, utilisée avec éthique, est un levier majeur de bancarisation et d’inclusion. Elle doit permettre d’alléger les garanties exigées aux TPE, et d’ouvrir l’accès au financement à des millions d’unités économiques jusque-là marginalisées.
Mais au-delà des outils, c’est la recherche de l’impact qui reste sa boussole. Il mesure chaque projet à sa capacité à transformer la vie réelle des populations.
Un pont entre continents
Polyglotte et fin connaisseur des dynamiques interrégionales, Sidi Ould Tah joue un rôle décisif dans le rapprochement entre l’Afrique et le monde arabe. Il préside le Groupe de coordination arabe, mobilise les fonds souverains du Golfe, et intègre les financements arabes dans les stratégies africaines de développement. Son profil hybride (africain, arabe, multilatéral) en fait un médiateur naturel des partenariats globaux.
L’après-Adesina : une autre vision du leadership
L’élection de Sidi Ould Tah à la présidence de la BAD ouvre un nouveau cycle. Après la décennie flamboyante d’Akinwumi Adesina, marquée par la communication et l’ambition politique, il incarne un style différent : sobre, précis, structuré, orienté résultats. Sa méthode est silencieuse mais puissante. Il ne court pas après les projecteurs, mais redéfinit, en profondeur, ce qu’un leadership africain peut produire : de la stabilité, de la prévoyance, de la transformation.
Un président pour l’Afrique des résultats
Sidi Ould Tah arrive à la tête de la BAD avec un atout rare : il a déjà prouvé, dans les faits, sa capacité à transformer une institution, à gérer une crise majeure, à fédérer des financements inédits, et à agir sans bruit mais avec constance. Sa présidence s’annonce comme celle de la maturité africaine : celle qui ne promet pas, mais livre. Celle qui ne parle pas de soi, mais pense aux autres.
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