Sous des dehors discrets et techniques, le mode opératoire « AI-Freak » constitue aujourd’hui l’un des instruments les plus sophistiqués de la guerre informationnelle menée par la Russie en Afrique. Selon un rapport confidentiel de VIGINUM, réalisé en coopération avec le Royaume-Uni et l’Union européenne, ce dispositif numérique clandestin est étroitement lié à l’écosystème d’African Initiative, une façade médiatique pro-Kremlin.
Une propagande dopée à l’intelligence artificielle
Le nom de code « AI-Freak » n’a rien d’anodin. Il désigne un ensemble de tactiques informationnelles fondées sur l’usage massif de l’intelligence artificielle générative : textes, images, vidéos… tout est conçu automatiquement ou semi-automatiquement pour produire du contenu à grande échelle, dans plusieurs langues, à destination des publics africains.
Les contenus créés visent à diffuser des récits pro-russes et anti-occidentaux, tout en donnant l’apparence d’une information neutre ou d’origine locale. Une manœuvre rendue d’autant plus efficace que ces publications sont déclinées en français, anglais, arabe ou swahili, selon les publics visés.
Une stratégie de visibilité agressive
Pour assurer la viralité de ces contenus, l’écosystème AI-Freak recourt à des techniques de référencement trompeur, dites de Black Hat SEO. Cela consiste à manipuler les moteurs de recherche grâce à des mots-clés piégés, des liens artificiels, des redirections cachées ou encore des titres racoleurs.
Ces méthodes permettent à des articles mensongers d’apparaître en tête des résultats sur Google ou Bing lorsqu’un utilisateur cherche des informations sur des sujets sensibles : présences militaires en Afrique, vaccins, conflits au Sahel, ou encore la guerre en Ukraine.
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Des réseaux diffus dissimulés sur le web africain
AI-Freak n’agit pas à visage découvert. Le dispositif s’appuie sur une constellation de sites miroirs, de forums communautaires, de blogs affiliés et de faux médias régionaux. Ces plateformes sont parfois hébergées sur des serveurs anonymisés et mises à jour via des outils automatiques. Elles rediffusent les contenus d’African Initiative ou les adaptent à des formats locaux.
Par exemple, des comptes anonymes sur Facebook ou Telegram postent des versions abrégées de ces articles, insérées dans des discussions sur la politique, la religion ou l’économie locale, donnant ainsi l’illusion d’un débat authentique.
Une délégation externalisée de la désinformation
Le rapport de VIGINUM suggère que ce mode opératoire a été sous-traité à une société de marketing numérique dont le rôle est d’amplifier les contenus d’African Initiative tout en maintenant une distance apparente avec les structures officielles russes. Initialement détecté par Meta et OpenAI, AI-Freak est un exemple de plus en plus courant d’une stratégie d’influence qui externalise la production et la diffusion des messages, pour mieux dissimuler leurs origines.
Manipuler sans assumer
En fin de compte, AI-Freak permet à la Russie de manipuler les opinions africaines à bas bruit, en échappant aux régulations imposées aux médias ou aux institutions officielles. C’est une propagande sans visage, mais bien réelle, qui s’inscrit dans un jeu d’influence géopolitique de plus en plus sophistiqué.
Le soft power russe en Afrique : quand African Initiative mise sur les films, les podcasts et les jeux vidéo
Alors que les projecteurs se braquent souvent sur les aspects militaires ou numériques de l’influence russe en Afrique, un pan plus discret mais tout aussi stratégique se déploie : le soft power culturel. Au cœur de cette approche, on retrouve African Initiative, la structure médiatique pilotée depuis Moscou, qui multiplie les canaux d’influence : podcasts, films, formations universitaires et même jeux vidéo.
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« Pulse of Africa » : la voix du Kremlin en version podcast
Depuis février 2025, African Initiative diffuse un podcast bimensuel en russe intitulé Pulse of Africa. Disponible sur Apple Podcasts et Yandex Music, il met en scène des « experts » en géopolitique, économie et religion, autour de thèmes comme « Orthodoxie en Afrique » ou « Conscience de soi et colonialisme ».
Objectif : diffuser des analyses alignées avec la vision du Kremlin, tout en renforçant l’idée d’une proximité civilisationnelle entre la Russie et les nations africaines.
Cinéma d’influence : de l’URSS aux BRICS
African Initiative a également investi dans le documentaire idéologique, en co-produisant ou promouvant plusieurs films à forte portée symbolique.
Black to USSR : réalisé au Mozambique et en Afrique du Sud, ce documentaire retrace la vie d’Africains ayant étudié en URSS. Il valorise la transmission entre générations et l’éducation soviétique comme un modèle de coopération gagnant-gagnant.
La fin du néocolonialisme en République centrafricaine : un film plus politique, qui met en scène la Russie comme rempart à l’ingérence occidentale. Il est soutenu par la Maison russe de Serbie, preuve de l’extension européenne du réseau.
Ces films sont projetés lors d’événements diplomatiques, à huis clos, en présence de diplomates africains et de représentants russes, dans une logique de diplomatie culturelle ciblée.
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Formation universitaire : le Kremlin instruit ses relais
Dans les amphithéâtres du MGIMO (Institut d’État des relations internationales de Moscou), la Russie forme ses futurs diplomates… mais aussi ses relais d’influence africaine. Depuis décembre 2024, African Initiative y donne un cours baptisé Anti-Fake, censé « apprendre à contrer la désinformation occidentale ».
La méthode est simple : présenter la version russe des faits comme étant la vérité objective, et former les étudiants à l’utiliser dans leurs futurs pays d’affectation. Ces formations visent aussi à recruter de jeunes Africains formés en Russie, qui serviront de relais locaux une fois de retour sur le continent.
Propagande ludique : un jeu vidéo aux couleurs du Sahel
Dernier outil d’influence inattendu : le jeu vidéo. En juillet 2024, African Initiative annonce avoir développé un mod pour Hearts of Iron IV, un jeu de stratégie militaire. Ce mod, intitulé L’aube africaine, permet aux joueurs d’incarner les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), la Russie, les États-Unis ou la France.
Selon leur choix, les joueurs peuvent « créer une confédération sahélienne souveraine » ou maintenir une domination occidentale. Une façon subtile, mais puissante, de renforcer l’idée d’une Afrique émancipée avec l’aide de Moscou, tout en popularisant la vision géopolitique russe auprès des jeunes internautes.
Une alternative culturelle à l’Occident
Derrière cette production culturelle multiforme se cache un objectif clair : imposer une vision du monde alternative à celle des puissances occidentales. En racontant une autre histoire de l’Afrique (où la Russie est bienfaitrice et l’Occident oppresseur) African Initiative cherche à gagner la bataille des imaginaires, là où les armes classiques ne suffisent plus.
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