jeudi 29 mai 2025

Cinquante ans de la CEDEAO : entre héritage d’intégration et turbulence régionale

Partager

Le 28 mai 2025, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) souffle ses cinquante bougies. Une étape symbolique pour cette organisation régionale née en 1975 à Lagos sous l’impulsion de dirigeants visionnaires comme le général nigérian Yakubu Gowon et le président togolais Gnassingbé Eyadéma. Cinquante ans plus tard, l’ambition initiale d’intégration économique et politique reste d’une brûlante actualité, mais se heurte désormais à des défis de taille.

Une œuvre pionnière d’unité régionale

Lorsque, ce 28 mai 1975, les chefs d’État ouest-africains apposent leur signature au bas du Traité de Lagos, ils scellent le destin d’une région alors marquée par des économies fragmentées et des tensions interétatiques. L’idée, longtemps portée par le président libérien William Tubman, prend enfin forme grâce à la diplomatie active de Gowon et Eyadéma.

Pour Yaouza Ouro Sama, greffier en chef à la Cour de Justice de la CEDEAO, « le Traité de Lagos a servi de colonne vertébrale à des nations dont l’indépendance était encore récente. Il a offert un cadre de dialogue à une région en proie aux divisions ».

Parmi les acquis les plus emblématiques de cette intégration figurent la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement dans les 15 pays membres. Un acquis rare en Afrique, qui fait de la CEDEAO une exception sur le continent. Aujourd’hui, près de 400 millions d’habitants peuvent théoriquement se déplacer librement dans un espace économique estimé à plus de 700 milliards de dollars.

Des avancées tangibles, malgré les lenteurs

L’organisation ne s’est pas contentée de promouvoir la mobilité. Elle a également mis en place des institutions clés telles que la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC), moteur de nombreux projets d’infrastructures et de développement dans la sous-région.

Mais les résultats sur le terrain ont parfois tardé à se concrétiser. Jusqu’aux années 1990, la circulation transfrontalière restait largement informelle. Tony Luka Elumelu, ancien officier d’immigration, se souvient : « Les gens traversaient les frontières avec des autorisations fiscales, pas des passeports. La libre circulation, dans la pratique, était encore loin ». Aujourd’hui, l’adoption du passeport biométrique communautaire et la numérisation progressive des systèmes administratifs incarnent une nouvelle ère.

LIRE AUSSI : Afrique de l’Ouest : l’AES et la CEDEAO renouent le dialogue

Un jubilé en pleine zone de turbulences

Pourtant, ce jubilé d’or n’a rien d’un long fleuve tranquille. Le retrait fracassant du Mali, du Niger et du Burkina Faso (tous dirigés par des juntes militaires) constitue une onde de choc pour l’organisation. Ce divorce inédit affaiblit la CEDEAO, déjà critiquée pour sa gestion des crises politiques et sécuritaires récurrentes dans la région.

Face à cette situation, Omar Alieu Touray, président de la Commission de la CEDEAO, reconnaît l’urgence d’un aggiornamento : « Les défis qui ont engendré le mécontentement populaire doivent constituer la base de notre réflexion. Il faut agir différemment pour répondre aux attentes des populations ».

Les tensions actuelles révèlent un décalage grandissant entre les peuples, souvent en quête de souveraineté renforcée, et une institution perçue comme rigide ou déconnectée. Certains analystes plaident pour une réforme en profondeur des mécanismes de gouvernance interne et un recentrage sur les véritables priorités sociales, économiques et sécuritaires.

Réaffirmer les principes fondateurs

La célébration du cinquantenaire est donc autant un moment de bilan que de projection. Réaffirmer les principes fondateurs de solidarité, de coopération et d’unité s’impose pour redonner souffle à une CEDEAO fragilisée, mais toujours incontournable. La question n’est plus de savoir si l’intégration régionale est souhaitable, mais comment la rendre efficace, inclusive et résiliente.

Au moment où Yakubu Gowon, unique fondateur vivant, brandit son passeport vert biométrique, symbole d’une CEDEAO modernisée, l’organisation fait face à un dilemme existentiel : renouer avec l’esprit du Traité de Lagos ou laisser s’éroder, lentement mais sûrement, le rêve d’une Afrique de l’Ouest unie.

Encadré : Quelques dates clés

28 mai 1975 : Signature du Traité de Lagos instituant la CEDEAO.

1979 : Adoption du Protocole sur la libre circulation des personnes.

2001 : Création de la BIDC.

2024 : Annonce du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

2025 : Cinquantenaire de l’organisation célébré dans un contexte de crise.

Un demi-siècle après sa naissance, la CEDEAO demeure un pilier régional. À elle maintenant de prouver qu’elle peut aussi être un levier de transformation face aux aspirations nouvelles des peuples ouest-africains.

Suivez-nous sur Nasuba Infos via notre canal WhatsApp. Cliquez ici. 

Views: 4

Plus d'actualités

Articles Populaires

You cannot copy content of this page