Il est des mises en scène qui trahissent plus qu’elles ne rassurent. Le dernier sommet de l’Alliance des États du Sahel appartient à cette catégorie : un cérémonial martial, savamment chorégraphié, où des dirigeants en treillis se félicitent mutuellement pendant que, hors champ, les sociétés qu’ils prétendent sauver s’enlisent dans la peur, la misère et l’isolement. L’image est éloquente. Elle raconte moins une affirmation de puissance qu’un profond malaise politique.
L’Afrique de l’Ouest vit une anomalie durable : jamais la région n’avait compté autant de régimes militaires simultanément. Ce constat devrait susciter une alarme collective. Il est au contraire brandi par certains comme une preuve de renaissance souveraine. Or le paradoxe est cruel. Au nom d’une rupture proclamée avec l’Occident, ces juntes se placent sous l’influence d’un autre pôle de puissance, substituant une dépendance à une autre. Le souverainisme invoqué devient alors un slogan à géométrie variable, vidé de sa substance démocratique.
Le sommet de l’AES ne témoigne pas d’un sursaut courageux, mais d’un aveu d’impuissance. Incapacité à dessiner une transition crédible vers l’ordre constitutionnel. Incapacité à traduire les promesses de sécurité en résultats tangibles. Incapacité, enfin, à distinguer l’autorité légitime de l’autoritarisme brut. Derrière les discours offensifs et la désignation commode d’ennemis extérieurs, les faits demeurent têtus : les attaques armées se multiplient, les économies se contractent, les libertés se rétractent.
Les régimes issus de coups de force parlent au nom du peuple tout en gouvernant sans mandat populaire. Ils promettent la dignité mais livrent surtout de la propagande. Ils dénoncent les anciennes tutelles tout en réinstallant des liens plus obscurs, moins contrôlables, plus risqués. Ce qui s’organise au sein de l’AES n’a rien d’une refondation panafricaine ; c’est la banalisation de l’exception, la tentative de faire du putsch une norme et de l’uniforme une source de légitimité.
L’histoire du continent rappelle pourtant une évidence : la force des armes ne remplace jamais durablement la force du droit. Les défis du Sahel : terrorisme, pauvreté endémique, fractures sociales, jeunesse sans horizon ne se résolvent ni par des parades militaires ni par des sommets de l’entre-soi. Ils exigent des institutions crédibles, des politiques publiques cohérentes, de la transparence et une responsabilité devant les citoyens.
Soutenir l’AES par réflexe anti-impérial relève d’une facilité intellectuelle dangereuse. Critiquer les déséquilibres de l’ordre international est légitime ; justifier la confiscation du pouvoir par des militaires ne l’est pas. L’Afrique ne se libérera pas en troquant des présidents élus contre des capitaines autoproclamés.
Ce sommet restera sans doute comme le symbole d’un moment de confusion où l’échec s’est déguisé en résistance et l’improvisation en révolution. Il est temps de le dire sans détour : l’avenir de l’Afrique de l’Ouest ne se bâtira ni dans les casernes ni dans les cérémonies martiales, mais dans le retour assumé à la primauté du civil, à la légitimité démocratique et à une gouvernance au service des peuples.
