À moins d’un an de la présidentielle, le parti Les Démocrates aborde une étape décisive, mais périlleuse : la désignation de son candidat. Présidée par l’ancien chef de l’État Boni Yayi, cette formation, principale force d’opposition, traverse une phase d’effervescence où les ambitions se libèrent, parfois aux dépens de l’unité.
Derrière les postures publiques de cohésion, une compétition féroce s’organise en coulisses. Une épreuve qui pourrait s’avérer plus complexe que la bataille électorale elle-même, tant les équilibres internes restent fragiles.
Les Démocrates face à l’enjeu du choix présidentiel
L’échéance de 2026 s’annonce cruciale. En face, le camp présidentiel se structure autour de l’héritage de Patrice Talon, dont le mandat aura profondément transformé l’administration publique, l’économie et les infrastructures. Dans ce contexte, le parti d’opposition doit impérativement présenter un candidat capable de rassurer, de rassembler… et de convaincre au-delà de son socle militant.
Mais c’est là que réside l’un des grands paradoxes des Démocrates : aucun des prétendants actuels ne dispose d’une expérience significative de gestion publique ou de gouvernance exécutive. Ce déficit de parcours dans l’action gouvernementale pourrait constituer un handicap majeur dans une élection où l’électorat sera de plus en plus sensible à la compétence éprouvée, à l’efficacité et à la crédibilité.
Houndété et Atchadé : un duel silencieux mais structurant
Dans les coulisses, Éric Houndété et Nourénou Atchadé, figures centrales du parti, se jaugent à distance. Chacun cristallise les attentions, mobilise ses soutiens, esquisse une stratégie. Une rivalité feutrée mais bien réelle, qui structure aujourd’hui les tensions internes.
Éric Houndété : le vétéran sans gouvernance exécutive
Âgé de 62 ans, Éric Houndété reste une figure symbolique de l’opposition post-Yayi. Ancien président du parti, actuel vice-président et député, il capitalise sur son long engagement politique.
Cependant, son aura a pâti au fil de temps et des résultats mitigés aux législatives de 2023, marquées par la perte de son fief. S’il conserve une base fragile dans l’Atlantique, il peine à élargir son influence au-delà du cercle militant. Son discours, rigoureux mais classique, ne parvient pas à incarner une rupture suffisamment forte pour séduire un électorat en quête de renouveau.
LIRE AUSSI : Réformes, rigueur et modernité : ce président dont le Bénin avait besoin
Nourénou Atchadé : une voix solide, mais peu connectée aux réalités de l’exécutif
Nourénou Atchadé, président du groupe parlementaire Les Démocrates et deuxième vice-président du parti, est l’un des prétendants en vue. Originaire de Bassila, parlementaire chevronné et orateur affirmé, il s’est imposé comme l’un des principaux critiques du régime actuel sur les questions de gouvernance, de justice sociale et de démocratie.
Sa loyauté envers Boni Yayi lui confère un crédit certain dans l’appareil du parti, mais son influence demeure essentiellement parlementaire. Pour prétendre au leadership national, il lui faudra élargir son socle d’appui et démontrer qu’il peut fédérer bien au-delà de l’Assemblée.
Kamel Ouassagari : le jeune outsider?
Peu connu du grand public il y a encore quelques années, Kamel Ouassagari s’affirme comme une figure montante. Sociologue, statisticien, ancien fonctionnaire, originaire de Kérou, aujourd’hui député, il adopte une posture offensive, tant à l’Assemblée que dans les médias et sur les réseaux sociaux, où il soigne désormais son image.
Très critique du pouvoir en place, notamment sur la réforme du code électoral et se faisant remarquer par ses multiples questions au gouvernement, Ouassagari bénéficie de l’estime de Boni Yayi. Il essaie de bâtir un réseau sous-régional via le Parlement de la CEDEAO.
Il s’appuie sur une configuration familiale stratégique : sa mère, Abiba Dafia Ouassagari, ancienne maire de Kérou, est une proche de Boni Yayi, tandis que son frère jumeau Kamar, secrétaire administratif du parti, joue un rôle d’interface avec les instances dirigeantes.
Dr Nasser Yayi : la carte de la filiation
Fils de Boni Yayi, Dr Nasser Yayi affiche un parcours international dans les organisations panafricaines. Il incarne une tentative de renouvellement générationnel… dans la continuité dynastique.
Mais sa légitimité repose moins sur des réalisations politiques concrètes que sur son nom. Il n’a jamais occupé de fonction élective ni conduit une organisation nationale à fort impact, ce qui rend encore floue sa capacité à diriger une nation.
Il pourra toutefois compter sur le soutien de sa sœur Rachelle, devenue très active aux côtés de leur père ces derniers mois dans les prises de contacts politiques, ainsi que sur celui de leur frère Chabi (encore inéligible), qui joue un rôle clé au sein du parti en tentant de faire le lien avec les anciens alliés influents de leur père.
Dr Adam Sounon Kondé : un compromis possible, mais discret
Adam Sounon Kondé, ex-DG de l’Agence béninoise de sécurité sanitaire des aliments (ABSSA) sous Yayi, aujourd’hui secrétaire national à l’Éducation et à la Recherche scientifique du parti, représente un profil discret mais structuré.
Originaire de Nikki, actif sur le terrain, apprécié dans les cercles de base, il incarne une possible candidature de compromis, surtout si les prétendants majeurs s’enlisent dans des rivalités ou si un consensus devient indispensable pour préserver l’unité.
LIRE AUSSI : L’économie béninoise : entre résilience et transformation structurelle, un modèle en Afrique de l’Ouest
Une galaxie de faiseurs de roi en embuscade
D’autres personnalités, souvent discrètes, pourraient jouer un rôle de poids dans les équilibres internes : Badougou René, Godonou Joël, Gbodo François, Kitti Nathaniel, Dossa Paulin, mais aussi Alassani Tigri, Eugène Azatassou, Léon Comlan Ahossi, Akadiri Saliou, Mama Debourou Djibril ou encore Monsia Christophe.
À noter : la limite constitutionnelle d’âge (70 ans) écarte certaines figures de proue, offrant un espace à ces “faiseurs de roi”, capables d’arbitrer ou d’orienter le choix final.
Une équation politique à plusieurs inconnues
Le parti Les Démocrates est aujourd’hui confronté à un dilemme stratégique : rompre avec l’ère Yayi ou la prolonger ? Aucun des prétendants ne semble, pour l’instant, capable d’opérer cette synthèse.
Mais au-delà des lignes idéologiques, c’est le manque d’expérience concrète de gestion publique qui frappe. Dans un contexte où le président sortant a élevé le niveau d’exigence, notamment en matière de performance, de rigueur et de résultats, le contraste pourrait jouer en défaveur de l’opposition si elle n’y remédie pas rapidement.
Un choix mal géré (ou perçu comme imposé) pourrait provoquer une implosion de l’intérieur, dans un contexte de forte pression extérieure.
Entre survie politique et refondation
La présidentielle de 2026 représente bien plus qu’un scrutin pour Les Démocrates. Il s’agit d’un test existentiel : confirmer leur statut de principale force d’opposition, ou glisser vers l’irrelevance.
Le candidat qui sera désigné devra démontrer un sens aigu de l’unité, une compétence incontestable, mais surtout une capacité à incarner une alternative crédible face à un pouvoir solidement installé, soutenu par son bilan, un appareil institutionnel et médiatique redoutable.
Chacun des prétendants a ses forces. Tous ont leurs faiblesses. Mais celui qui saura placer l’intérêt collectif au-dessus des ambitions personnelles ou familiales pourrait bien porter la voix d’une opposition rassemblée.
Pour l’heure, le parti semble avancer à pas feutrés, comme suspendu à une autre interrogation : qui Talon choisira-t-il pour lui succéder ? Et surtout, quand Les Démocrates entreront-ils véritablement en campagne ?
Suivez-nous sur Nasuba Infos via notre canal WhatsApp. Cliquez ici.
Views: 97