Kigali, 7 avril 2025. Ce lundi marque le début de la 31e commémoration du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda, une tragédie humaine d’une ampleur incommensurable qui, entre avril et juillet 1994, a emporté plus de 800 000 vies.
Durant cent jours, le pays tout entier entre en mémoire, en recueillement, mais aussi en résilience. Pour les rescapés, cette période reste un chemin escarpé, où les souvenirs douloureux refont surface, mais où la force collective sert de rempart contre l’isolement et le désespoir.
Dans une salle sobrement décorée, à l’écart du tumulte de la capitale, des centaines de veuves et rescapées se sont rassemblées à l’initiative d’Avega, l’association des veuves du génocide.
Là, les embrassades précèdent les larmes. Les mains se serrent fort, comme pour dire : “Je suis encore là, et toi aussi.” Parmi celles qui prennent la parole ce jour-là, Scholastique Nyiramana, 63 ans, évoque avec sobriété le poids de l’absence et le sens qu’elle donne aujourd’hui à sa survie.
« Chaque année, en cette période, je ressens la même chose : un silence profond en moi. Mais ce silence, je l’ai appris, peut devenir une force. Je suis restée debout, non pas parce que j’ai oublié, mais parce que j’ai choisi de faire mémoire en avançant », confie-t-elle. « Le plus dur, ce n’est pas de se souvenir, c’est de continuer à aimer la vie malgré tout. »
Depuis sa création, Avega joue un rôle crucial dans le travail de mémoire et dans l’accompagnement psychologique et social des survivants, en particulier des femmes. La solidarité y est érigée en principe vital.
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Car chaque année, durant les cent jours de commémorations, les cicatrices s’ouvrent de nouveau. Valérie Mukabayire, ancienne présidente de l’association et figure de la résilience rwandaise, explique : « Avega a trouvé bon de rassembler les membres, de se souvenir et de voir ensemble la période que nous allons traverser pour qu’on ne se laisse pas entraîner par le traumatisme. »
Le mot résilience revient souvent. C’est la trame invisible de ces retrouvailles, le fil qui relie celles et ceux qui ont traversé l’horreur mais refusent de s’y engluer. D’après les chiffres communiqués par des organismes rwandais de santé mentale, plus d’un quart des rescapés souffrent encore de stress post-traumatique majeur. Une réalité amplifiée durant les périodes de commémoration. Les nuits sont plus courtes, les cauchemars plus intenses, les souvenirs plus oppressants. Mais là encore, la communauté s’organise.
Les visites entre survivants deviennent un rituel de soin. L’écoute, une forme de thérapie. Les prières, un refuge. « On se rend des visites, surtout quand on sait qu’il y a quelqu’un de plus faible que les autres. On se rappelle tout ce qui s’est passé, comment on était juste après le génocide et comment on a été résilientes », raconte Mukabayire.
Au Rwanda, la commémoration du génocide des Tutsis est aussi un appel à l’unité, à l’humilité et à la lucidité. Dans une époque marquée ailleurs par des révisions historiques ou des tentatives de relativisation, Kigali insiste sur l’importance de ne pas banaliser l’irreprésentable.
« La mémoire devrait surplomber tout. Et qu’à un certain moment, tout le monde s’agenouille, rende hommage aux victimes et prône un moment de réflexion », insiste un haut responsable rwandais. Ce devoir de mémoire est également un rempart contre la résurgence des idéologies extrémistes, un appel à la vigilance dans un monde où les discours de haine trouvent encore des échos.
Aujourd’hui, le Rwanda s’est reconstruit. Les collines jadis jonchées de corps sont désormais fleuries, mais la douleur ne s’efface pas. Elle se transforme. Elle éduque. Elle prévient. La 31e commémoration est plus qu’un moment de souvenir : c’est un acte de résistance.
Résistance contre l’oubli, contre le silence, contre la déshumanisation. Dans les regards des rescapés, il y a la douleur, oui, mais aussi une lumière. Celle de celles et ceux qui refusent d’abandonner la mémoire des leurs. Et qui, chaque 7 avril, se rappellent que vivre est un acte de courage.
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