Le panafricanisme, jadis force motrice de l’émancipation des peuples africains, semble aujourd’hui à la croisée des chemins. De Kwame Nkrumah à Cheikh Anta Diop, en passant par Julius Nyerere et Modibo Keïta, les pères fondateurs portaient une vision de l’unité africaine fondée sur la solidarité, l’indépendance économique et politique, ainsi que la promotion d’une identité culturelle forte.
Or, ces dernières années, cette noble idéologie a été récupérée, détournée, voire pervertie par certains activistes et influenceurs qui confondent panafricanisme et lutte obsessionnelle contre l’impérialisme occidental, réduisant ainsi la pensée panafricaniste à un discours de confrontation systématique plutôt qu’à un projet de construction.
Le panafricanisme originel : un projet d’unité et de développement
Dès la fin du XIXe siècle, des figures comme W.E.B. Du Bois et Marcus Garvey jetèrent les bases d’une prise de conscience collective des peuples africains et de la diaspora. L’idée maîtresse du panafricanisme était d’unir les forces pour bâtir un continent affranchi des tutelles coloniales et capable de prendre en main son destin.
Dans les années 1950-60, l’accession des nations africaines à l’indépendance donna une impulsion nouvelle au mouvement. Kwame Nkrumah, fervent défenseur d’une fédération africaine, déclarait : « L’indépendance de notre pays est sans valeur si elle ne s’accompagne pas de la libération totale du continent africain. »
Le panafricanisme visait alors à créer une Afrique unie, capable d’affronter les défis économiques et politiques en mutualisant ses forces. L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), fondée en 1963, bien qu’imparfaite, symbolisait cette volonté. Elle était le fruit de débats entre les partisans d’un État fédéral africain (Nkrumah) et ceux d’un panafricanisme plus pragmatique fondé sur la coopération entre États souverains (Senghor, Houphouët-Boigny).
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Un détournement du panafricanisme par le discours populiste
Aujourd’hui, un certain discours qui se réclame du panafricanisme en détourne pourtant l’essence même. Des figures comme Kemi Seba, Nathalie Yamb ou Francklin Nyamsi font partie de ceux qui réduisent le panafricanisme à une lutte frontale contre l’Occident.
Leur rhétorique repose souvent sur une dénonciation systématique de la « Françafrique », du franc CFA, et de l’influence occidentale sur le continent. Certes, ces sujets méritent d’être débattus, mais le problème survient lorsque ces figures adoptent une posture manichéenne où tout ce qui est africain est vertueux et tout ce qui est occidental est pernicieux.
Cette approche, purement émotionnelle et clivante, occulte les véritables défis du continent : la gouvernance, la lutte contre la corruption, l’éducation, l’industrialisation et l’intégration économique. En rejetant systématiquement toute coopération avec l’Occident, ces nouveaux « panafricanistes » ne proposent aucun modèle concret de développement viable.
Du panafricanisme de construction au panafricanisme de la colère
Là où Nkrumah ou Thomas Sankara cherchaient à bâtir une Afrique souveraine par le développement des infrastructures, de l’éducation et des institutions fortes, le panafricanisme actuel tend à se résumer à des invectives contre les anciennes puissances coloniales et les dirigeants africains perçus comme leurs relais.
Ce phénomène est amplifié par les réseaux sociaux, où des vidéos virales dénonçant l’impérialisme engrangent plus d’audience que des analyses approfondies sur la nécessité d’une monnaie africaine crédible ou sur les enjeux de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA).
En réalité, le véritable combat panafricaniste ne réside pas dans la diabolisation systématique de l’Occident, mais dans la construction d’institutions solides, la promotion du savoir, le développement économique et l’unification du continent autour de projets concrets.
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Un panafricanisme de solutions, pas d’émotions
L’Afrique a besoin d’un panafricanisme qui s’inspire de ses pères fondateurs : un panafricanisme de solutions et non de slogans. Il s’agit de :
- Favoriser l’intégration économique et politique, en renforçant l’Union africaine et en donnant des moyens à la ZLECA.
- Investir massivement dans l’éducation et l’innovation, plutôt que de simplement dénoncer les ingérences étrangères.
- Bâtir des institutions fortes, garantes de la souveraineté et de la bonne gouvernance, sans céder au populisme ni aux solutions simplistes.
- Créer une indépendance économique réelle, en promouvant l’industrialisation et en réduisant la dépendance aux matières premières.
Le véritable héritage du panafricanisme ne se trouve pas dans des discours enflammés contre la France ou les États-Unis, mais dans la construction d’une Afrique unie, forte et souveraine. C’est à cette condition que le rêve des pères fondateurs pourra enfin devenir réalité.
