Le Togo a franchi un nouveau cap dans son rapprochement avec l’Alliance des États du Sahel (AES). Par un message publié sur ses réseaux sociaux, le ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, a confirmé que Lomé envisage sérieusement d’intégrer cette organisation, formée par les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger après leur rupture avec la CEDEAO. Une annonce qui marque un tournant dans la diplomatie togolaise et qui pose la question des véritables intentions du régime de Faure Gnassingbé.
Un positionnement ambigu devenu un choix assumé
Depuis le début de la crise entre la CEDEAO et les pays de l’AES, le Togo a joué un rôle d’intermédiaire, se positionnant comme un facilitateur du dialogue. Cependant, derrière cette posture de médiateur, Lomé a toujours entretenu une certaine proximité avec les régimes sahéliens.
Alors que la CEDEAO imposait des sanctions sévères contre le Niger après le coup d’État de juillet 2023, le Togo s’est distingué en mettant son port à la disposition des militaires nigériens, à l’inverse du Bénin qui appliquait strictement les mesures de la communauté régionale.
Cette bienveillance affichée à l’égard de l’AES a fini par se transformer en une volonté de rapprochement officiel. Robert Dussey l’a d’abord laissé entendre en janvier lors d’un entretien sur VoxAfrica, où il déclarait que son pays et l’AES étaient « liés par la même idéologie ». Désormais, l’intention est assumée et exprimée sans détour.
LIRE AUSSI : AES : découvrez le pays le mieux classé entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger
Un pari stratégique ou une fuite en avant ?
L’argument mis en avant par Lomé est avant tout stratégique : rejoindre l’AES permettrait de renforcer la coopération régionale et d’offrir un accès à la mer aux pays enclavés du Sahel. Une manière pour le Togo de se positionner comme un acteur clé dans le commerce et la logistique ouest-africaine, alors que le Ghana, sous la présidence de John Dramani Mahama, tente lui aussi de séduire les nouveaux alliés sahéliens.
Mais derrière ces considérations économiques se cache un choix plus politique. Le régime de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005 et issu d’une dynastie qui dirige le Togo depuis près de 60 ans, partage avec les juntes sahéliennes un rejet des modèles démocratiques promus par la CEDEAO.
La récente réforme constitutionnelle adoptée en 2024, qui instaure un régime parlementaire supprimant l’élection présidentielle au suffrage universel, a renforcé l’image d’un Togo s’éloignant des principes démocratiques.
En rejoignant l’AES, Lomé pourrait ainsi chercher à sécuriser un nouveau cadre de coopération régionale, plus en phase avec ses intérêts et moins contraignant en matière de gouvernance.
Une double appartenance intenable ?
L’une des questions majeures soulevées par cette annonce est de savoir si le Togo pourra cumuler son appartenance à la CEDEAO et son adhésion à l’AES. Contrairement aux pays sahéliens qui ont choisi de rompre totalement avec la communauté régionale, Lomé pourrait tenter de jouer sur les deux tableaux.
Selon l’ancien président de la Cour constitutionnelle béninoise, Théodore Holo, cette double appartenance serait possible et même souhaitable pour le Togo. « Le Togo peut être membre de l’AES tout en restant membre de la CEDEAO. Il est dans son intérêt de poursuivre le partenariat avec la CEDEAO, même s’il adhère à l’AES », a-t-il expliqué.
Toutefois, cette posture opportuniste pourrait s’avérer intenable à long terme. L’AES s’est construite en opposition aux principes de la CEDEAO, en rupture avec les engagements démocratiques et institutionnels de cette dernière. En choisissant de se rapprocher de l’AES, le Togo envoie un signal inquiétant : celui d’un pays qui, au lieu de défendre les valeurs démocratiques, préfère s’allier avec des régimes issus de coups d’État.
Loin de renforcer la CEDEAO, cette attitude contribue à fragiliser la communauté régionale et à brouiller les lignes entre États respectant les principes démocratiques et ceux qui les bafouent. Il revient aux dirigeants togolais d’assumer leurs choix et d’en mesurer les conséquences, car on ne peut pas prétendre défendre la stabilité régionale tout en soutenant ceux qui l’ont mise à mal.
Suivez-nous sur Nasuba Infos via notre canal WhatsApp. Cliquez ici.
