mercredi 4 juin 2025

Ce que Tiani ne dit pas : le Bénin n’a pas à s’aligner

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Le président de la transition nigérienne, le général Abdourahamane Tiani, a décidé de s’exprimer longuement samedi soir, dans un entretien télévisé, pour réaffirmer ce que beaucoup avaient déjà compris : la frontière avec le Bénin restera fermée. Derrière cette décision, le discours est rodé, et la posture sans nuance : Niamey accuse Cotonou d’abriter des « troupes françaises de déstabilisation » et considère que cette alliance justifie à elle seule le maintien de la fermeture.

Mais dans cette rhétorique martiale où l’on parle de souveraineté, de sécurité et de trahison régionale, un mot manque cruellement : respect. Non pas celui qu’exigerait la hiérarchie militaire ou la logique d’un bloc politique, mais celui dû aux choix souverains des États voisins. Car à travers ses déclarations, Tiani semble poser une exigence qui n’a jamais été formulée dans les relations internationales modernes : que le Bénin, pays indépendant, révise ses alliances au gré des perceptions du pouvoir nigérien.

Une logique dangereuse

Le Bénin coopère militairement avec la France. C’est un fait connu, assumé, ancien. Mais ce partenariat n’est ni exclusif, ni orienté contre un voisin. Cotonou entretient également des coopérations sécuritaires avec plusieurs autres puissances, notamment les États-Unis, la Chine, et d’autres pays européens ou africains. Cette politique d’ouverture, équilibrée, pragmatique, n’a jamais mené à l’établissement de bases militaires étrangères permanentes sur le sol béninois. Il s’agit donc d’un partenariat multilatéral, au service de la sécurité nationale, sans alignement aveugle ni soumission à une puissance.

Refuser ce droit au Bénin, c’est sous-entendre que certains États de la région devraient désormais soumettre leurs alliances aux velléités géopolitiques du régime militaire de Niamey. Une logique à rebours de la souveraineté que Tiani prétend défendre.

Et pourtant, la frontière nigériane (où des soupçons de collusion avec la France ont également été évoqués par la junte) reste ouverte. Interrogé à ce sujet, Tiani se défend en évoquant des « éléments de renseignement », tout en insistant sur l’ampleur, plus grave selon lui, de la collaboration entre le Bénin et la France. Mais là encore, l’opacité domine. Et les critères de distinction entre pays « tolérables » et « condamnables » semblent plus politiques que sécuritaires.

« Un État ne travaille pas avec le paraître. Il travaille avec des éléments de décision », dit-il. Encore faut-il que ces éléments soient transparents, ou du moins convaincants.

LIRE AUSSI : Niger : les transporteurs exigent la réouverture des frontières avec le Bénin

L’art du timing… ou de l’évitement ?

Un détail n’aura échappé à personne : cet entretien, que le général Tiani voulait manifestement solennel, a été diffusé à l’heure exacte où des millions d’Africains (Nigériens compris) avaient les yeux rivés sur la finale PSG – Inter Milan. Hasard du calendrier ? Ou calcul d’un chef d’État qui sait que son message, bien que spectaculaire dans le ton, ne suscitera pas une adhésion massive en direct ? On est en droit de se demander si le général croyait lui-même que son discours serait véritablement suivi — ou s’il tenait davantage à poser un jalon diplomatique, sans trop de regard critique immédiat.

La population sacrifiée

Pendant ce temps, la frontière reste fermée, et ce sont les populations civiles qui en souffrent. Commerçants de Malanville, transporteurs de Gaya, familles séparées entre deux rives du fleuve Niger : tous paient le prix d’un bras de fer diplomatique qui ne dit pas son nom. Et pendant que les discours parlent de dignité, ce sont les plus fragiles qui, eux, encaissent les conséquences.

Tiani l’a dit lui-même : « Ce n’est pas du virtuel. Ce sont nos hommes qui tombent ». Cette phrase, lourde de douleur, mérite d’être entendue. Mais elle ne justifie pas qu’on prenne en otage la vie économique et sociale des régions frontalières. Elle ne permet pas de transformer une inquiétude sécuritaire (réelle ou supposée) en un instrument de pression politique sur un État voisin.

Le Bénin n’a pas à s’aligner

En définitive, une question reste suspendue, essentielle, incontournable : depuis quand le Bénin doit-il modifier sa politique de coopération militaire au gré des exigences du Niger ? L’intégrité territoriale, la sécurité nationale, la souveraineté : ce sont des principes universels, que chaque État revendique à juste titre. Mais ils ne peuvent pas servir à exiger des autres ce qu’on refuserait soi-même.

Le Niger peut défendre ses intérêts, protéger ses frontières et affirmer sa ligne stratégique. Mais cela ne lui donne pas le droit de redéfinir, pour ses voisins, les contours acceptables de leur politique étrangère. La fermeture de la frontière est peut-être légale. Elle est sans doute conforme à l’agenda stratégique de Niamey. Mais elle n’est ni juste, ni durable. Car elle s’appuie sur une vision déséquilibrée des relations internationales : une vision où certains pays auraient le droit de tracer des lignes rouges… et d’imposer aux autres de ne pas les franchir.

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