Le 7 décembre 2025, aux premières heures du matin, une tentative de coup d’État a été lancée au Bénin. Des militaires ont brièvement investi des installations et lu une déclaration à la télévision d’État annonçant la destitution du président Patrice Talon. L’intervention rapide des forces loyales et l’appui militaire régional en particulier des frappes aériennes et le déploiement de troupes nigérianes ont permis de contenir la mutinerie et de rétablir l’ordre. Les autorités ont qualifié l’opération de « déjouée ».
Comme souvent dans ces circonstances, l’attaque sur le terrain a été accompagnée d’une tempête d’intox numériques : publications, comptes et vidéos prétendant que le président avait fui ou que le pouvoir avait basculé se sont multipliés avant d’être infirmés par les autorités. Les fausses informations ont circulé simultanément sur Facebook, X, TikTok et YouTube, et plusieurs messages ont ensuite été effacés ou rendus privés.
Un double front : opérations militaires et guerre de l’information
L’événement du 7 décembre s’inscrit dans une stratégie hybride : une action physique (mutinerie sur des bases) appariée à une campagne numérique visant à amplifier la panique, fragiliser la confiance interne et, potentiellement, peser sur les marchés et l’agenda politique (alors que des échéances électorales importantes approchent). Les marchés ont en effet réagi (baisse de certains titres obligataires), montrant que ces opérations cherchent aussi à produire des effets économiques immédiats.
Des relais et des méthodes déjà connus
L’analyse des relais numériques impliqués fait apparaître un schéma récurrent :
- des comptes « meneurs » qui publient en priorité des images et récits chocs ;
- des « suiveurs » parfois automatisés ou coordonnés qui amplifient ces messages ;
- des « légitimités » (influenceurs ou médias à large audience) qui confèrent une apparence d’autorité aux narratifs.
Ces méthodes, largement documentées depuis 2022–2024 dans la région, ont été observées à nouveau autour du cas béninois. Certains des comptes et pages identifiés lors d’opérations antérieures dans la sous-région ont de nouveau servi de vecteurs pour la désinformation visant Cotonou.
Lien avec des réseaux régionaux : AES, BIR-C et relais burkinabè ?
Plusieurs éléments permettent d’envisager l’implication (directe ou indirecte) de grappes d’acteurs issues de la région sahélienne et des réseaux pro-russes :
- L’Alliance des États du Sahel (AES) et des relais proches des juntes ont été, ces dernières années, identifiés comme exportateurs de narratifs anti-occidentaux et comme acteurs d’opérations d’influence transfrontalières. Les tensions entre AES et ECOWAS ont été exacerbées ces derniers mois, rendant la région particulièrement propice à des campagnes visant à déstabiliser des gouvernements perçus comme « pro-occidentaux ».
- Des structures burkinabè consacrées à la communication et à la production d’influence parfois regroupées sous les sigles BIR-C / BIRC (Bataillon d’Intervention Rapide de la Communication) ou désignées comme fabriques à contenus ont été documentées par plusieurs enquêtes comme centrales dans la diffusion organisée de désinformation régionale. Elles agissent via un écosystème de faux comptes, pages et « médias » en ligne qui s’alimentent mutuellement.
L’ombre des réseaux russes et le « Projet Kemi »
Des enquêtes antérieures ont mis en lumière des opérations d’influence russes en Afrique, en particulier via des financements et des programmes visant à promouvoir des leaders ou des narratifs favorables aux intérêts russes. Le cas dit du « Projet Kemi » où des relais pro-russes auraient soutenu la montée en visibilité de l’activiste Kémi Seba a été décrit par plusieurs médias d’enquête. Des analyses indiquent que certains relais panafricanistes ont pu être instrumentalisés ou co-optés pour diffuser des narratifs anti-occidentaux et prorusses, même si ces relations sont parfois complexes et marquées par des intérêts locaux propres.
Précision importante : si des liens financiers ou opérationnels ont été établis par des enquêtes passées entre certains influenceurs et des réseaux russes, la nature exacte des connexions dans chaque opération spécifique (y compris pour l’épisode du 7 décembre) requiert des preuves cas par cas. Les investigations ouvertes et les recoupements journalistiques en cours devraient permettre d’affiner ces responsabilités.
Objectifs poursuivis et limites de l’opération
D’après les éléments disponibles :
- l’objectif immédiat était de semer le doute, de paralyser les institutions et de capter l’attention nationale et internationale ;
- en second lieu, la campagne visait à fragiliser l’image économique du pays et à montrer l’incapacité supposée du gouvernement à garantir la sécurité ;
- enfin, ces opérations cherchent à normaliser des narratifs politiques favorables à certains acteurs régionaux (AES) et à des partenaires extérieurs opposés à l’influence occidentale.
Cependant, l’échec ou le caractère limité de l’opération sur le plan militaire et son containment rapide ont réduit l’effet illusions produites par la désinformation : les institutions ont rapidement démenti, et l’intervention régionale (Nigeria/ECOWAS et autres soutiens) a permis de restaurer la situation.
Comment répondre à ces menaces ?
Les réponses doivent être multiples et coordonnées : renforcement de la résilience des institutions, coopération régionale pour le renseignement et la sécurité, renforcement des capacités de détection et de fact-checking, régulation ciblée des plateformes et campagnes d’éducation « médias » pour limiter l’audience des faux récits. Des actions judiciaires et de transparence sur l’origine des comptes et financements doivent compléter la panoplie d’outils.
La tentative de déstabilisation du Bénin du 7 décembre 2025 illustre la porosité entre actions physiques (mutinerie) et opérations numériques. Derrière les événements de terrain se tiennent des campagnes de désinformation coordonnées, utilisant des faux comptes, des avatars et des relais régionaux situations où des réseaux promouvant des agendas pro-junte ou prorusses ont trouvé des terrains d’opération. Les faits récemment avérés (intervention régionale, vagues d’intox, comptes effacés) plaident pour une réponse combinant sécurité, transparence et renforcement de l’écosystème d’information fiable.
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