Trois jours après la tentative de prise de pouvoir menée par un groupe de militaires, le commandant de la Garde républicaine, le colonel Dieudonné Tévoédjrè, a livré à RFI un récit détaillé des événements qui ont marqué la journée du dimanche 7 décembre. De l’attaque nocturne contre plusieurs hauts gradés, à l’assaut contre la résidence présidentielle, jusqu’à l’intervention nigériane et au soutien français, il décrit une opération menée « avec détermination » par les forces loyalistes.
Une offensive simultanée contre plusieurs hauts responsables
Tout commence à 2 h 10 du matin. Le colonel Tévoédjrè reçoit un appel du général Bertin Bada, directeur de cabinet militaire du président, qui annonce être attaqué à son domicile par des hommes cagoulés. Quelques minutes plus tard, le général Abou Issa, chef d’état-major de l’armée de Terre, signale une attaque similaire.
Cette simultanéité convainc immédiatement le commandant de la Garde républicaine : « Ce n’était pas un acte isolé… mais une tentative d’atteinte à la sûreté de l’État ».
Il mobilise son unité et se rend lui-même à la Garde républicaine pour organiser la riposte.
Selon son récit, les mutins enlèvent le chef d’état-major de la Garde nationale, une unité récemment créée pour répondre aux menaces terroristes au nord du pays. Après ces « actes ignobles », dit-il, les assaillants prennent la direction des institutions de la République.
L’assaut contre la résidence présidentielle : 45 minutes de combat
Aux premières heures du jour, les mutins lancent un assaut contre la résidence du chef de l’État. Tévoédjrè affirme s’être déjà rendu sur place pour installer un dispositif de défense.
« Le président et son épouse étaient présents », confirme-t-il. Il décrit un chef de l’État « courageux », qui serait resté à ses côtés durant toute la confrontation.
Les assaillants engagent le combat avec des blindés. Les forces loyalistes y opposent leurs propres véhicules : une bataille de 45 minutes s’engage dans le quartier présidentiel. Les mutins sont repoussés, laissant « un mort et un blessé » côté loyaliste, selon Tévoédjrè.
Repli vers l’ORTB : une tentative de communication avortée
Après leur revers à la résidence présidentielle, les mutins gagnent la Radiodiffusion-Télévision nationale (ORTB), où ils diffusent brièvement un message annonçant leur action.
Pendant cette séquence, les forces loyalistes contre-attaquent et détruisent un blindé des putschistes. L’ORTB est rapidement reprise, avec le soutien des unités venues d’Ouidah et d’Allada. Les mutins se replient alors sur la base militaire de Togbin, à une dizaine de kilomètres de Cotonou.
La base de Togbin encerclée : la CEDEAO sollicitée
Les loyalistes encerclent la base où les mutins se sont retranchés. Un assaut terrestre est envisagé, mais jugé trop risqué pour les populations environnantes.
En fin d’après-midi, les autorités béninoises sollicitent l’aide de partenaires régionaux, dans le cadre d’un mandat de la CEDEAO. La réponse la plus rapide vient du Nigeria.
Frappes ciblées nigérianes et appui français
Selon Tévoédjrè, un avion d’appui nigérian effectue plusieurs passages et mène des frappes « ciblées et chirurgicales » destinées à neutraliser les équipements des mutins, dont des blindés susceptibles de servir dans une nouvelle offensive.
Parallèlement, un avion de reconnaissance français fournit un appui en renseignement, permettant de localiser précisément les positions des insurgés. Une fois la base désertée, les forces spéciales françaises basées à Abidjan rejoignent les opérations pour appuyer le ratissage visant à sécuriser les lieux.
Les mutins en fuite, les investigations se poursuivent
Après les frappes, les mutins prennent la fuite. Les deux hauts gradés kidnappés sont retrouvés sains et saufs à Tchaourou, dans le nord du pays. L’emplacement exact du lieutenant-colonel Pascal Tigri, présenté comme le chef du mouvement, reste inconnu.
Les services de renseignement poursuivent les recherches. Le colonel Tévoédjrè ne souhaite pas s’aventurer sur l’existence d’éventuels commanditaires ou soutiens étrangers, estimant que l’enquête déterminera les responsabilités.
Revendications des mutins : des « justifications fallacieuses »
Les insurgés avaient affirmé vouloir dénoncer une armée défaillante face au terrorisme et une mauvaise prise en charge des familles de soldats tués au front. Tévoédjrè rejette fermement ces accusations : « Qui veut noyer son chien l’accuse de rage », lance-t-il, affirmant que l’armée est aujourd’hui « mieux équipée » qu’elle ne l’était il y a dix ans, citant notamment l’acquisition des blindés utilisés… par les mutins eux-mêmes.
Il rappelle l’adoption récente de textes pour améliorer la prise en charge des blessés et des familles de victimes de l’opération Mirador.
« Une armée républicaine, unie et indivisible »
Le commandant de la Garde républicaine insiste sur un point : si le putsch a échoué, c’est parce que l’armée béninoise est restée « une et indivisible ». Il souligne la tradition, depuis la Conférence nationale, d’une armée retirée de la vie politique et attachée à ses missions républicaines. « Si elle avait été divisée, elle n’aurait pas fait face comme elle l’a fait », assure-t-il.
Et maintenant ?
Malgré la fuite du chef présumé des mutins, le colonel Tévoédjrè se dit confiant : « Nous ne sommes pas inquiets. Si demain ils devaient répéter, nous ferions face. »
La suite des opérations traque, enquêtes, procédures relève désormais de la police républicaine et des services de renseignement.
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