mardi 30 décembre 2025

Niger : derrière la “mobilisation générale”, l’instauration d’un régime cynique d’exception

Sous couvert de « défense de la Patrie », le projet d’ordonnance adopté par le Conseil des ministres nigérien ouvre une brèche grave dans l’État de droit. Le texte, présenté comme une réponse aux menaces intérieures et extérieures, organise en réalité une spoliation méthodique des droits des populations et consacre l’avènement d’un régime d’exception aux contours flous, potentiellement illimités.

À première lecture, l’ordonnance se pare des vertus de la sécurité nationale : organisation, préparation, efficacité, intégrité territoriale. Mais à y regarder de près, elle institue un pouvoir exorbitant qui permet la réquisition généralisée des personnes, des biens et des services. Autrement dit, l’État s’arroge le droit de disposer des citoyens comme de ressources mobilisables, sans garanties claires, sans mécanismes de contrôle indépendants et sans limites temporelles précises.

La liste des obligations imposées aux citoyens est édifiante. Répondre « immédiatement » aux ordres d’appel, se soumettre à toute réquisition, se conformer aux décisions des autorités, s’abstenir de communiquer y compris via les technologies modernes dès lors que cela pourrait « influer négativement » sur la mobilisation. Cette formulation, volontairement vague, ouvre la voie à une censure généralisée et à la criminalisation de la parole publique, de la presse et de toute expression critique.

Plus inquiétant encore, le texte institue une logique de dénonciation enjoignant les citoyens à informer les autorités sur des « ressortissants de pays hostiles » et sur tout fait jugé entravant la mobilisation. Dans un contexte politique déjà tendu, cette disposition risque d’installer un climat de suspicion permanente, de fracturer le tissu social et de légitimer des abus ciblés contre des individus ou des communautés.

L’argumentaire officiel invoque la Charte de la Refondation et la loi sur l’organisation de la défense nationale. Mais aucune référence explicite n’est faite aux contre-pouvoirs, au rôle du juge, ni aux garanties fondamentales prévues par les engagements constitutionnels et internationaux du Niger. La « sensibilisation citoyenne » annoncée ressemble davantage à une entreprise d’embrigadement qu’à un dialogue démocratique, tant elle met l’accent sur les devoirs sans jamais rappeler les droits.

En démocratie, l’exception doit être strictement encadrée, temporaire et proportionnée. Ici, l’exception devient la règle. Le pouvoir exécutif se dote d’un instrument juridique lui permettant de suspendre, de facto, des libertés essentielles au nom d’une menace définie par lui seul. C’est là le cœur du problème : l’absence de balises transforme une nécessité sécuritaire invoquée en un outil de domination politique.

Au lieu de protéger les populations, ce texte les expose à l’arbitraire. Au lieu de renforcer la souveraineté, il fragilise la confiance entre l’État et les citoyens. La défense de la Patrie ne saurait justifier la confiscation des libertés ni la spoliation des droits fondamentaux. Quand la sécurité devient le prétexte à tout, elle cesse d’être une protection et se mue en instrument de contrôle.

L’histoire récente du continent l’enseigne : les régimes d’exception, une fois installés, survivent souvent aux crises qu’ils prétendaient résoudre. Le Niger est aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit la mobilisation générale reste un cadre strictement encadré par le droit et la transparence, soit elle consacrera durablement un pouvoir sans contrepoids, au détriment des populations qu’elle prétend défendre.

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